Chardin: exercice

Le fond est un mur plat sans décoration d'une couleur brune qui est la dominante du tableau, couleur chaleureuse, neutre et non luxueuse, naturelle, celle de la terre. La tonalité est réaliste.

La femme qui est debout au centre du tableau forme la moitié droite d'un triangle isocèle, dont la base circule entre la jupe de l'enfant de gauche en premier plan, la nappe [tablecloth] de la table autour de laquelle les trois personnages sont assemblés. Son vêtement est soigné: elle porte un tablier de travailleuse ou de ménagère, et ses cheveux sont rangés sous un bonnet (signe de modestie et de labeur).

Au premier plan à gauche, une petite fille habillée comme la femme qui est debout se tient assise de profil vers la droite. La géométrie d'une pyramide répétant celle de la mère en plus petit, montre que la fillette de gauche en est déjà une copie conforme. Elle est donc occupée de la même façon que la mère, qui regarde un troisième personnage, une fillette plus petite sur laquelle elle se retourne à profil perdu.

Sur une chaise un peu plus élevée, et légèrement décentrée, projetée sur la gauche, une fillette, le visage incliné vers la table, est au centre de l'attention des deux autres personnages. Le fait qu'elle soit décentrée, et l'intéret qu'elle suscite, la mettent à part, dans l'exception. Elle doit être celle qui s'applique à dire la prière en se concentrant sur un texte difficile pour son jeune âge. La sœur aînée guette peut-etre une faute de la part de sa sœur, faute qui prouverait à ses yeux sa supériorité essentielle et lui donnerait un plaisir contraire à la sainteté de la scène [naughty element] par un mouvement de vanité qui serait de son âge, et tout à fait "humain" dans sa faiblesse. Quant à la petite sœur, elle a peut-etre pour but immédiat, non pas la vie éternelle, mais le soucis de finir sa prière aussi vite et aussi bien que possible, pour plaire à sa mère, et pour manger si elle a faim, ce qui serait probable dans le contexte donné. Il s'agit d'un spectacle attendrissant (cute) qui réaffirme l'importance de l'action journalière dans son rapport à la Chrétienté et au divin dont dépend le temps donné.

[moment opportun pour insérer ce que vous savez de la vie de l'auteur et de ses autres tableaux, information que vous pouver glaner dans diverses encyclopédies, livres spécialisés, brochures d'exposition, et études particulières portant sur la vie et l'œuvre de Chardin] Le rapport personnel de Chardin à la nourriture porte habituellement la pensée dans cette direction. La plupart de ses tableaux sont des natures mortes de cuisine, et reproduisent les objets du premier ménage de Chardin, qui perdit sa première épouse presque immédiatement, alors qu'il était très attachée à cette dernière. Le Bénédicité s'inscrit dans une série de tableaux incluant des personnages humain, une période brève de ce peintre qui composera des tableaux de plus en plus sobres et géométriques, vers une réflexion picturale centré sur la gravité et le temps.

Ainsi, certains objets de cuisine se retrouvent dans les tableaux de Chardin, y compris dans "Le retour du marché," tel le baquet de bois par terre en bas à droite, et le récipient en cuivre, pendu au mur. Il s'agit d'objets à l'usage de la cuisine. Seul, le fauteuil que l'on aperçoit derrière la mère semble relativement luxueux en ce sens qu'il ne s'agit pas d'un tabouret, ni d'un banc de bois. Ce fauteuil est plutôt un objet de salle à manger.

[Conclusion: il faut une conclusion, sinon on peut se demander pourquoi fournir l'analyse qui cherche à situer le contexte de production et les conditions de réception d'une œuvre: notez que si vous pouvez comprendre une œuvre facilement, telle celle-ci, cela veut dire que vous partagez toujours suffisamment les valeurs de ce message, et si ce message vous cause de l'ennui (boredom), vous ne partagez pas intimement ces valeurs ou du moins sans profondeur mais très superficiellement, culturellement, comme une habitude culinaire (sel. mayonnaise, ketchup ou poutine pour vos frites selon que vous êtes Français, Belge, Canadien Anglophone, ou Canadien Francophone)]Le thème familier et quotidien s'applique à une scène réaliste et idéalisée affirmant des valeurs bourgeoises de la France du dix-huitième siècle, de labeur et de nécessité suivant la chute du Paradis et le péché originel, de préparation à la rédemption, incluant une philosophie de vie Chrétienne. La sensibilité de ce tableau le rapproche de la comédie sérieuse, un nouveau genre soutenu par le parti philosophique et mis en théorie par Diderot dans Le père de famille. Ce genre de réhabilitation de la classe bourgeoise et de ses valeurs a finalement été identifié comme l'un des courants idéologiques menant à la Révolution.